Exposé sur les répercussions de la prolongation de la durée du droit d’auteur au Canada

À compter du 30 décembre, la durée du droit d’auteur pour toute œuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique au Canada passera de 50 à 70 ans après l’année du décès de l’auteur. Par conséquent, aucune nouvelle œuvre n’entrera dans le domaine public au cours des vingt prochaines années.

Un vaste et profond domaine public enrichit la vie sociale, politique, intellectuelle, culturelle et artistique de la population canadienne. Les œuvres entrant dans le domaine public peuvent apporter des avantages économiques, car la plupart de ces œuvres qui n’ont pas été disponibles commercialement pendant des décennies trouvent une nouvelle vie en entrant dans le domaine public.[1]

Les deux principaux enjeux de la prolongation de 20 ans de la durée du droit d’auteur pour les œuvres littéraires sont la diminution du domaine public liée au gel de deux décennies de l’entrée de nombreuses œuvres dans ce domaine et les problèmes connexes concernant l’utilisation des œuvres orphelines et des œuvres hors commerce (ou l’accès à celles-ci). Ce dernier enjeu crée une charge supplémentaire pour les bibliothèques, les archives et les musées (BAM). La plupart des œuvres jadis publiées par des auteurs maintenant décédés depuis des décennies ne sont plus disponibles auprès des détenteurs des droits (les éditeurs notamment) ; elles sont donc difficiles à trouver et risquent d’être définitivement perdues. De plus, le risque en matière de droits d’auteur associé à la numérisation, à la préservation et au partage de ces œuvres empêche les bibliothèques de recherche de remplir leur mission envers leurs organisations respectives et la société dans son ensemble.

La prolongation imminente de la durée du droit d’auteur est la plus récente d’une série de modifications législatives du droit d’auteur sans aucune mesure d’atténuation pour prévenir la possible perte de matériel et contrebalancer les répercussions culturelles négatives qui découleront du gel de l’ajout de nouvelles œuvres au domaine public.[2]

Il y a trois ans, le comité parlementaire chargé de réviser la Loi sur le droit d’auteur a recommandé la mise en place d’un système d’enregistrement permettant de prolonger la durée du droit d’auteur au-delà de la durée actuelle pour « atténuer certains des inconvénients de la prolongation de la durée, promouvoir l’enregistrement du droit d’auteur et accroître ainsi la transparence générale du système du droit d’auteur ».[3]

Le gouvernement du Canada a publié l’année dernière un document de consultation qui proposait plusieurs options pour atténuer les effets négatifs de la prolongation de la durée de vie.[4] Dans leur réponse à ce document, l’Association des bibliothèques de recherche du Canada et la Fédération canadienne des associations de bibliothèques ont approuvé, sous certaines conditions, les options suggérées par le gouvernement concernant la mise en œuvre d’un système d’enregistrement et le soutien du travail des bibliothèques par l’élargissement des exceptions de violation. De plus, nous avons recommandé les modifications supplémentaires de contrepoids à la Loi sur le droit d’auteur :[5]

  • Modifier l’article 2 pour changer la définition du terme « accessible sur le marché » ;
  • Modifier l’article 29 pour que la liste des fins autorisées en vertu de l’exception d’utilisation équitable soit une liste illustrative plutôt qu’une liste exhaustive ;
  • Préciser qu’aucune exception au droit d’auteur ne peut faire l’objet d’une renonciation ou d’une dérogation contractuelle et que les mesures techniques de protection (MTP) peuvent être contournées à des fins ne constituant pas une violation ;
  • Abroger le paragraphe 14 (1) ou, à tout le moins, le modifier pour y inclure une clause selon laquelle le créateur peut renoncer aux droits de réversion au moment de la cession du droit d’auteur aux bibliothèques, aux archives et aux musées ;
  • Établir un régime de responsabilité limitée pour les bibliothèques, les archives et les musées pour l’utilisation d’œuvres orphelines, non publiées et hors commerce.

Les mesures d’atténuation, notamment la mise en place d’un système d’enregistrement des 20 dernières années de protection, sont essentielles pour compenser ce qui aura un impact négatif pour une grande partie de la population canadienne. L’accès du public aux œuvres littéraires est limité lorsque les œuvres sont épuisées, orphelines, non numérisées ou indisponibles d’une manière quelconque ; une prolongation de la durée du droit d’auteur exacerbe cette problématique.

Le gouvernement fédéral doit examiner comment cette prolongation de la durée modifie considérablement l’équilibre entre la protection du droit d’auteur profitant à quelques sociétés multinationales et le bien public.

L’ABRC s’engage à poursuivre son travail avec le gouvernement fédéral pour faire en sorte que la législation sur le droit d’auteur soit équitable pour les utilisateurs et gérable pour les bibliothèques. Nous espérons que les mesures prises comprendront l’élaboration conjointe de ressources éducatives visant à renseigner le personnel des bibliothèques et le public sur ces modifications législatives.

L’ABRC compte parmi ses membres les vingt-neuf plus grandes bibliothèques universitaires du Canada. L’amélioration de la recherche et de l’enseignement supérieur est au cœur de sa mission. L’ABRC renforce la capacité de soutenir cette mission et favorise une communication savante efficace pérenne et une politique publique permettant un grand accès à l’information savante.

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[1] Voir Lepan, D. “A Brief Submitted to the Standing Committee on Industry, Science and Technology: Copyright and the Fifty Year Rule”, 2018, p. 3, https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/421/INDU/Brief/BR10008280/br-external/LePanDon-e.pdf et Flynn, J., R. Giblin & F. Petitjean, “What Happens When Books Enter the Public Domain? Testing Copyright’s Underuse Hypothesis across Australia, New Zealand, The United States and Canada”, UNSW LJ, 2019, 42(4), http://www.unswlawjournal.unsw.edu.au/wp-content/uploads/2019/11/3-Flynn-Giblin-and-Petitjean.pdf .

[2] Changements législatifs en 2015 (Loi portant exécution de certaines dispositions du budget. SC 2015, C-59, a81-82, https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/41-2/projet-loi/C-59/sanction-royal/page-161#11)  et 2020 (Loi portant mise en œuvre de l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis du Mexique, SC 2020, a23-33, ) liés aux modalités du droit d’auteur comprenant des prolongations de 25 à 50 ans pour les œuvres anonymes, pseudonymes et cinématographiques ainsi que pour les enregistrements sonores et les prestations des artistes-interprètes.

[3] Voir la recommandation 6, Rapport du Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie. Examen statutaire de la Loi sur le droit d’auteur. Juin 2019. https://www.noscommunes.ca/DocumentViewer/fr/42-1/INDU/rapport-16

[4] Voir le Document relatif à la consultation sur la façon de mettre en œuvre la prolongation de la durée de protection générale du droit d’auteur au Canada, Innovations, Science et Développement économique Canada. Mars 2021.

https://ised-isde.canada.ca/site/secteur-politique-strategique/fr/politique-dencadrement-marche/politique-droit-dauteur/document-relatif-consultation-facon-mettre-oeuvre-prolongation-duree-protection-generale-droit.   

[5] Voir Réponse conjointe à la consultation sur la prolongation de la durée du droit d’auteur, Fédération canadienne des associations de bibliothèques et Association canadienne des bibliothèques de recherche. 29 mars 2021. https://www.carl-abrc.ca/wp-content/uploads/2021/03/CFLA-CARL_Joint_Response_to_Consultation_on_Copyright_Term_Extension.pdf