Le billet suivant a été écrit par Jean-Sébastien Sauvé, étudiant à la maitrise en sciences de l’information à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’Université de Montréal et bénéficiaire de la bourse OpenCon 2017 de l’ABRC.
Comme historien de l’architecture, j’ai souvent été confronté au vieil adage « publier ou périr ». Je devais sans cesse démontrer l’excellence de mes recherches en publiant des monographies et des articles dans des revues réputées, afin d’être reconnu par mes pairs comme un chercheur accompli. Je me suis néanmoins souvent demandé qui me lisait et même qui pouvait me lire : les ouvrages en histoire de l’architecture, grandement illustrés, ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Poursuivant actuellement une maîtrise en sciences de l’information à l’Université de Montréal, j’ai décidé de poursuivre ma réflexion en m’intéressant davantage à l’accessibilité de la recherche. C’est ainsi que je suis tombé dans le monde de la science ouverte.
Grâce au support financier de l’Association des bibliothèques de recherche du Canada, j’ai eu la chance de participer au OpenCon 2017 qui s’est tenu à Berlin du 11 au 13 novembre 2017. Organisé par Sparc (Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition), organisation qui vise à promouvoir les trois O (Open access, Open education et Open data) et à démocratiser l’accès au savoir, OpenCon est une réunion annuelle regroupant plusieurs acteurs influents issus de la nouvelle génération.
Nous avons été reçus par la Max-Planck Gesellschaft qui coorganisait l’événement à la maison Harnack dans l’arrondissement de Dahlem, tout près de la Freie Universität. Bien connue dans le milieu scientifique, la Max-Planck Gesellschaft encourage les échanges intellectuels et le partage des connaissances depuis sa fondation. Très active sur la scène de la science ouverte, elle a tenu un rôle prépondérant dans l’élaboration de la Déclaration de Berlin sur le Libre accès à la connaissance en 2003.
Cette année, l’OpenCon a réuni 186 individus issus de 62 pays de tous les continents. J’ai été ravi de constater que 50 % des participants provenaient des continents sud-américain, africain et asiatique. Au rythme des séances plénières, des tables rondes, des « un-conferences » et des ateliers liés à la réalisation de projets bien concrets, j’ai eu la chance d’écouter des intervenants qui présentaient des enjeux majeurs relatifs à l’accessibilité au savoir. J’aimerais présenter ici quatre enjeux qui m’ont tout particulièrement marqué. Il s’agit, bien entendu, d’une sélection éditoriale qui n’engage que moi.
- Le clash entre le Nord et le Sud
Plusieurs conférenciers ont souligné le malaise croissant des pays du Sud face aux outils développés dans les pays du Nord pour promouvoir le libre accès. L’avancement technologique a certes permis de rendre possible la science ouverte. Néanmoins, plusieurs intervenants ont fait remarquer qu’il était difficile de créer et de diffuser l’information lorsque le matériel, informatique et autre, n’est pas disponible. Plusieurs pays n’ont pas un accès facile à l’internet alors que c’est un prérequis à la diffusion de l’information les chercheurs locaux, et à sa consultation par les usagers, qu’ils soient spécialistes ou non. Sans ces ressources, les chercheurs des pays du Sud ne peuvent faire rayonner leurs recherches. Cela a pour conséquence que, bien souvent, l’information disponible en libre accès est celle produite par les pays du Nord.
Thomas Mboa, qui termine actuellement un doctorat à l’Université Laval, considérait même que le libre accès pourrait devenir, d’une certaine façon, un instrument du néocolonialisme : les outils sont principalement développés pour un contexte occidental. Conséquemment, les problèmes étudiés par les chercheurs du Sud sont souvent européens ou nord-américains. Pire, les chercheurs cherchant à avoir une reconnaissance internationale en publiant sur des sujets internationaux sont souvent déconnectés de leur propre communauté. Dans un autre panel, une intervenante sud-africaine, Nozuko Hlwatika, promouvait même la création d’un modèle proprement africain afin que soient considérées les particularités locales, les recherches sur les questions africaines et les méthodes africaines, qui, sinon, ne jouiraient d’aucune reconnaissance à l’échelle internationale. Malheureusement, la volonté politique est rarement au rendez-vous.
Ceci rejoint en quelque sorte certaines impressions partagées avec plusieurs participants face au rôle dominant de la langue anglaise dans l’édition savante. Ce problème se pose évidemment au Canada, mais aussi dans le contexte africain où la barrière linguistique entre les pays anglophones et francophones est bien présente : comme le rapporte Mboa, seulement 1 % de la production mondiale du savoir est issu de l’Afrique francophone. Les revues francophones sont moins indexées, moins souvent numérisées. Heureusement, il existe des projets tels que le Collectif SOHA qui visent à réunir et mobiliser les chercheurs et les étudiants africains et haïtiens sur les questions entourant la science ouverte.
- La diversité
Siko Bouterse a présenté une image forte : une photographie d’un exemplaire de l’Encyclopédie Britannica, qu’elle considère comme la somme du savoir des hommes blancs. On pourrait penser que des projets tel que Wikipédia donnent désormais la place aux voix plus silencieuses, mais il n’en est rien. Près de 80 % des pages de l’encyclopédie libre ont été écrites par des hommes blancs, surtout américains et européens, et portent principalement sur leurs propres intérêts. Les sujets marginaux y sont rarement pris en considération et les minorités en sont souvent exclues. Ceci est plutôt étonnant, car, comme Bouterse l’a bien résumé : « The history of marginal people is the history of the majority of the world » ! Elle nous a donc encouragés à nous arrêter et à prendre le temps regarder les gens qui nous entourent. Il faut que nous réalisions que cette diversité nourrit de nouvelles idées.
- Les universitaires
La communauté universitaire semble souvent réfractaire face à la science ouverte. Bien souvent, ces craintes sont liées à l’avancement professionnel (principalement, en vue de l’agrégation et de la titularisation) du corps professoral. Plusieurs professeurs considèrent même que l’arrivée de la science ouverte enfreindrait leur liberté académique.
J’ai participé à un atelier visant à bien comprendre les relations de pouvoir économique, politique et académique existant dans les universités nord-américaines. Nous avons observé quelques-unes de ces relations afin de voir comment nous pouvions valoriser la science ouverte. Nous avons donc créé un persona (qui était bibliothécaire universitaire !) et avons tenté de voir comment elle pouvait inciter les professeurs à faire confiance à la science ouverte.
Les meilleures mesures pour contrer les préjugés à l’égard de la science ouverte étaient, à notre avis, l’intégration au milieu et l’éducation : nous devons, en tant que bibliothécaires, être ancrés dans le milieu que nous desservons afin de tisser davantage de liens avec la communauté universitaire. Cela peut prendre la forme de séances d’information ou d’ateliers participatifs groupant les chercheurs selon leurs craintes et leurs intérêts. Il s’agit aussi d’accompagner les chercheurs dès la genèse de leur recherche afin de leur faire comprendre qu’il est dans leur intérêt qu’ils soient lus par le plus grand nombre afin d’avoir ainsi un plus grand impact. Finalement, il s’agit de fidéliser notre clientèle en rappelant constamment que nous existons : les bibliothécaires doivent sortir de leurs bibliothèques pour rencontrer les chercheurs sur le terrain.
Une crainte importante des professeurs proviendrait aussi des droits d’auteurs souvent mis en opposition avec l’accès libre à l’information. Lors d’un atelier sur les droits d’auteur, Meredith Jacob de Creative Commons a encouragé les bibliothécaires à se renseigner sur la souplesse des règles entourant le libre accès.
Les lois protégeant le droit d’auteur sont là pour rester et ne sont pas incompatibles avec la science ouverte. Le bibliothécaire doit ainsi connaître l’étendue des actions possibles tout en gardant en tête la présence des grands éditeurs qui tentent de recruter des scientifiques à tout prix pour leurs différentes plateformes.
- Impact hors du milieu universitaire
L’open science ne concerne pas que les bibliothèques universitaires et les chercheurs. Plusieurs intervenants ont présenté des projets qui avaient des répercussions majeures sur les populations locales. Je pense, par exemple, à Aliya Ibraimova, originaire du Kirghizstan, dont l’équipe cherchait à mettre sur pied des outils cartographiques destinés aux communautés rurales pour avoir accès à de l’eau potable, ou à la Palestinienne Kholoud Al Ajarma qui désirait démocratiser l’enseignement de la photographie auprès des jeunes vivants dans des camps de réfugiés. Nous avons vu comment nous pouvons faire la différence en participant à des initiatives qui vont au-delà des seuls murs de nos institutions.
La dernière journée de l’OpenCon était consacrée au « Do-a-thon » : il s’agissait de mettre la main à la pâte et participer activement à l’élaboration de projets concrets en lien avec les ressources éducatives libres, les données ouvertes et le libre accès.
Pour ma part, j’ai décidé de prendre part à un projet visant à promouvoir les « humanités ouvertes » (open humanities). Pour l’instant, nous avons posé les assises de notre projet en rédigeant un énoncé d’intentions. Nous avons également entrepris la création d’un toolkit et avons amorcé une réflexion sur l’accessibilité des données libres dans le milieu des sciences sociales et des humanités. Le projet en est à ses balbutiements pour l’instant, mais nous sommes toujours ouverts à de nouvelles collaborations si vous désirez vous joindre à nous (https://github.com/sparcopen/doathon/issues/56).
Au risque de sombrer dans les lieux communs, je dirais qu’OpenCon est l’une des conférences les plus stimulantes auxquelles j’ai eu la chance d’assister dans l’ensemble de mon parcours universitaire. Que ce soit par la qualité des intervenants, la diversité des sujets et l’originalité des activités proposées. Je me sens privilégié d’avoir pu créer des liens internationaux avec d’autres jeunes chercheurs et professionnels qui reconnaissent l’importance et le potentiel de la science ouverte. Pour ceux qui désirent à la lecture de ces lignes en apprendre davantage sur les enjeux et les perspectives dont il a été question pendant l’OpenCon, je vous encourage à consulter les notes qui ont été rédigées collectivement pendant chaque conférence. Elles sont disponibles sur le site de la conférence ( utiliser le bouton « Session Notes » pour chaque session). Bonne (suite de) lecture !