Déclaration de l’ABRC sur les modèles de facturation automatique des manuels didactiques

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Introduction

Les modèles de facturation automatique des manuels, y compris les programmes d’« accès inclusif » et d’« accès équitable », influencent profondément les modèles de vente de manuels numériques dans l’enseignement supérieur. Déjà très répandus aux États-Unis, ces modèles de vente font l’objet de discussions au Canada, bien que leur adoption à l’échelle des campus soit encore peu répandue. Si les modèles de facturation automatique offrent certains avantages, la présente déclaration de position souligne les inquiétudes importantes qui nous amènent à recommander de ne pas les adopter dans les établissements d’enseignement.

Programmes d’accès inclusif et équitable

Dans un programme d’« accès inclusif », le coût des manuels de cours numériques est intégré aux frais de scolarité et aux droits d’inscription des étudiantes et des étudiants. Un tel programme commence généralement par des accords entre les établissements, les librairies et les éditeurs, qui fournissent le contenu numérique aux étudiantes et étudiants par l’intermédiaire d’un système de gestion de l’apprentissage. Ce modèle accorde aux étudiantes et étudiants une période limitée pour se retirer avant de recevoir une facture automatique pour le contenu ; ce modèle présente un fardeau difficile à gérer pour les étudiantes et étudiants surtout lorsque les délais sont courts.[1]

L’« accès équitable » est une forme plus récente du modèle de vente décrit plus haut. Dans ce modèle, l’ensemble des étudiantes et étudiants doivent payer un tarif fixe pour les manuels électroniques pour chaque crédit de cours, peu importe que le cours en question nécessite ou non un manuel. L’avantage invoqué pour ce modèle est qu’il rationalise la facturation des étudiantes et des étudiants. Toutefois, ces tarifs fixes sont facturés par cours, même si aucun manuel n’est attribué, ce qui entraîne des dépenses considérables pour les étudiantes et étudiants à temps plein qui suivent cinq cours. Dans certains cas, les étudiantes et les étudiants paient pour du matériel dont ils n’ont pas besoin. Par exemple, les étudiantes et étudiants aux cycles supérieurs paieront même si leurs cours ne requièrent pas de manuels ; de même, les étudiantes et étudiants des disciplines qui n’utilisent pas de manuels devront quand même payer les frais.

Inconvénients des modèles de facturation automatique des manuels didactiques

Alors que ces modèles peuvent offrir aux étudiantes et étudiants des réductions sur les manuels numériques par rapport aux manuels imprimés, ils limitent la liberté des étudiantes et étudiants d’explorer d’autres options économiques telles que les manuels d’occasion, les manuels loués ou les manuels partagés.[2] Les modèles d’« accès inclusif » et d’« accès équitable » sont tous deux des modèles de location temporaire : l’accès au contenu disparaît une fois le cours terminé. De plus, ces modèles peuvent être contraignants pour les étudiantes et étudiants qui préfèrent les documents imprimés aux manuels électroniques considérant qu’ils doivent payer pour accéder à un contenu numérique qu’ils ne souhaitent peut-être pas utiliser.

Questions concernant l’équité et la confidentialité des données

Les modèles de facturation automatique des manuels soulèvent des questions d’équité, car les étudiantes et étudiants à faible revenu et de première génération peuvent être particulièrement affectés par le coût des manuels et choisir de ne pas les acheter.[3] Les difficultés financières des étudiantes et étudiants ont pris de l’ampleur ces dernières années ; avec l’augmentation de l’utilisation des banques alimentaires sur les campus dans tout le pays, la facturation automatique des manuels peut exacerber les problèmes actuels d’accessibilité financière.[4]

Un autre problème soulevé par les modèles de facturation automatique des manuels est le suivi et la collecte des données des étudiantes et étudiants par des fournisseurs. Ces pratiques soulèvent des questions quant à la protection de la vie privée des étudiantes et étudiants et à l’utilisation future des données, ainsi que des inquiétudes quant aux violations de données.[5] Avec les contrats conclus en quelques clics et régis en dehors des établissements d’enseignement, les étudiantes et étudiants n’ont guère la possibilité de refuser les conditions d’utilisation, notamment les conditions régissant la collecte de données personnelles ; par ailleurs, les étudiantes et étudiants comprennent souvent mal les politiques des éditeurs en matière de collecte de données.[6]  Des examens minutieux de ces programmes sont nécessaires pour garantir leur conformité aux valeurs et politiques des établissements dans ces domaines et à toute législation applicable.

Impact sur la flexibilité et la liberté académique des enseignants

Les modèles d’« accès inclusif » et d’« accès équitable » limitent la liberté des enseignantes et enseignants dans leurs choix des supports didactiques. Ils imposent aux enseignantes et enseignants des supports didactiques produits par des éditeurs sélectionnés et déterminés à l’avance. Ainsi, les enseignantes et enseignants ne peuvent pas proposer des ressources gratuites ou plus abordables, telles que des ressources éducatives libres (REL) ou des contenus sous licence de la bibliothèque, et, dans certains cas, des supports plus appropriés d’un point de vue pédagogique. Ces modèles ne soutiennent pas forcément les petits éditeurs, dont les publications peuvent être exclues des offres des fournisseurs. Les enseignantes et enseignants peuvent estimer que leur liberté académique est compromise lorsqu’ils ne peuvent pas sélectionner ou adapter le matériel en fonction de leur style et de leurs objectifs d’enseignement.

Défis liés à la représentation du contenu canadien

Aussi, le contenu canadien risque d’être sous-représenté parmi les ouvrages disponibles dans les programmes de facturation automatique des manuels, en particulier pour le matériel pédagogique qui n’est pas basé sur des manuels. Cela pourrait limiter l’accès au contenu canadien des petites maisons d’édition, telles que les presses universitaires et régionales, ainsi que le contenu publié au Canada qui est bilingue ou multilingue, ou qui est écrit à partir de perspectives diverses. Toute réduction de l’utilisation de ce type de contenu essentiel sur les campus canadiens serait inappropriée sur le plan pédagogique et ne soutiendrait pas l’ensemble de l’écosystème de l’édition canadienne.

Répercussions sur les services de la bibliothèque

Du point de vue des bibliothèques, les modèles de facturation automatique des manuels ont un impact négatif sur la prestation de services. Ces modèles éliminent les avantages que les étudiantes et étudiants tirent de l’accès aux documents de cours sous licence de la bibliothèque ou fournis dans le cadre d’exceptions au droit d’auteur ou d’accords de paiement à l’utilisation. Les programmes de réserve électronique des bibliothèques permettent aux étudiantes et étudiants de réaliser des économies sur les lectures de cours sur le campus et sont des services établis dans lesquels de nombreuses bibliothèques universitaires investissent afin d’améliorer la découverte et l’utilisation des ressources pédagogiques pour leur communauté.

Conclusion

En résumé, si les modèles de facturation automatique des manuels peuvent offrir certains avantages économiques et un accès facile aux étudiantes et étudiants à qui l’on a attribué des manuels, ils présentent également des inconvénients considérables. L’approche à tarif fixe de l’« accès équitable » exacerbe encore les problèmes posés par les modèles d’« accès inclusif », intensifiant les préoccupations tant du côté des étudiants que des enseignants, et menaçant les principes généraux d’une éducation ouverte et abordable. La tendance actuelle aux licences à tarif fixe, en particulier, devrait alarmer les établissements qui ont investi et s’efforcent de fournir des ressources éducatives économiques par le biais des REL et du matériel électronique des bibliothèques pour soutenir l’enseignement. De plus, l’utilisation de termes tels que « accès inclusif » et « accès équitable » pour dissimuler des modèles d’achat obligatoire de manuels didactiques soulève des questions éthiques et risque de miner et de brouiller les progrès accomplis dans la promotion de l’équité, de la diversité, de l’inclusion et de l’accessibilité (EDIA) dans le milieu universitaire au Canada.

Nous encourageons vivement tous les acteurs de l’enseignement supérieur, y compris les bibliothèques universitaires, à évaluer de manière approfondie l’influence de la facturation automatique des manuels sur l’accessibilité des supports de cours pour les étudiantes et étudiants, sur la réduction du choix pour le corps enseignant et sur l’expérience éducative dans son ensemble. Cette évaluation devrait être concertée avec la volonté d’accorder la priorité à une sélection responsable des matériels didactiques et de prendre en compte le caractère abordable, la qualité, la flexibilité et l’inclusivité réelle de leur fourniture.[7] À notre avis, les établissements auront raison de résister aux offres des éditeurs et autres fournisseurs qui cherchent à mettre en place des systèmes automatisés de vente de manuels sur leurs campus.

 

Déclaration adoptée par le conseil d’administration de l’ABRC – Mars 2024

 

[1]  Aux États-Unis, le modèle de facturation automatique des manuels a été remis en cause par le département de l’éducation, qui demande que les étudiantes et étudiants consentent explicitement à ces frais avant leur inscription à des programmes de facturation automatique des manuels, c’est-à-dire qu’ils acceptent d’y participer. VOIR: Knott, K. (7 mars 2024). Colleges, Education Department at Odds Over Inclusive Access Changes. Inside Higher Education. www.insidehighered.com/news/government/student-aid-policy/2024/03/07/colleges-education-department-odds-over-inclusive

[2] Un étudiant canadien a intenté un recours collectif au motif que les programmes d’accès inclusif étaient essentiellement non compétitifs. VOIR: Kyle Harman Singh Dhamrait c. McGraw-Hill Global Education Holdings, LLC, Pearson Education, Inc., Cengage Learning, Inc., McGraw-Hill Ryerson Limited, Pearson Canada Inc., and Cengage Learning Canada, Inc. (2020) SCBC. https://cbaapps.org/ClassAction/PDF.aspx?id=12292

[3] Jenkins, J. J., Sánchez, L. A., Schraedley, M. A., Hannans, J., Navick, N., & Young, J. (2020). Textbook broke: Textbook affordability as a social justice issue. Journal of Interactive Media in Education, 1(3), 1.

[4] Rukhsar Ali. (15 août 2023). Alberta campus food banks see doubled demand from students. CBC News. https://www.cbc.ca/news/canada/calgary/alberta-student-demand-for-campus-food-campus-1.6934038

[5] InclusiveAccess.org. (n.d). Deal or Data Grab? Inclusive Access content can capture vast amounts of data on students and faculty. https://www.inclusiveaccess.org/facts/deal-or-data-grab

[6] Nagle, C., & Vitez, K. (2020). Fixing the broken textbook market. 2nd Edition. US Public Interest Research Group, Student PIRG. p. 3. https://pirg.org/resources/fixing-the-broken-textbook-market-second-edition/

[7] Pour plus d’informations sur l’accès inclusif, ses mythes et ses faits, veuillez consulter le site InclusiveAccess.org, un projet fondé par la Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition (SPARC) en collaboration avec d’autres partenaires.